Auvergne : la légende du bonhomme sans tête, par Juliette Norel
Depuis plusieurs mois, mon co-auteur et moi nous aventurons ensemble dans les méandres des légendes parfois oubliées. Des terres bretonnes aux volcans endormis d’Auvergne, ces récits anciens traversent les âges, porteurs d’une mémoire collective qui enrichit notre patrimoine. Comme les pièces d’un immense puzzle, chaque histoire apporte sa couleur, sa nuance, et contribue à la richesse de cet héritage que nous cherchons à préserver.
C’est pour cela que j’aime tant nos légendes. Elles ne se contentent pas de raconter le passé : elles ravivent des souvenirs, résonnent avec des fragments d’enfance et tissent des liens invisibles entre les générations. Les redécouvrir, c’est aussi les réinventer, leur insuffler une nouvelle vie pour mieux les transmettre à ceux qui viendront après nous. Ce sont des ponts entre hier et demain, des éclats de lumière dans les plis du temps.
Mais ce qui fait leur magie, c’est cette étrange alchimie entre un récit partagé et l’intimité de chacun. Une histoire dont les contours restent immuables, mais où chaque regard dépose sa touche, sa lumière, sa vision. C’est sans doute en cela qu’elles sont immortelles : derrière la grande trame, elles abritent toujours mille histoires secrètes, dissimulées sous les ombres du passé.
Quand j’ai lu le titre de la légende destinée à se faire chatouiller par nos plumes entremêlées, j’ai froncé les sourcils. Cette histoire de bonhomme sans tête n’éveillait pas de souvenirs d’enfance au cœur des volcans endormis, mais elle convoquait autre chose. Une réminiscence de ma période rennaise, une vie passée, et l’évocation de mon premier mariage.
Le passé ne se réécrit jamais, c’est un fait. Pourtant, il nous laisse parfois des clefs, des fragments de compréhension que nous n’avions pas su voir sur le moment. Je me souviens de ce mariage presque de raison, de cette boule dans mon plexus, de cette impression de me trahir moi-même par peur de l’affrontement. Je m’étais enfermée dans un carcan, presque délibérément, et le résultat fut sans surprise : un fiasco.
C’est ma version personnelle du bonhomme sans tête, sans même connaître ou me remémorer la légende de la terre d’accueil de ma famille de sang.
Vous savez, cette figure que l’on pose sur les pièces montées ?
Celle qui représente le couple venant d’unir leurs vies devant leurs proches, pour en construire une à deux.
J’aime les rituels.
Je les trouve rassurants, enveloppants, porteurs d’un sens connu ou assoupi.
J’avais donc soigneusement emmailloté cette figure de porcelaine pour la conserver en relique d’un moment important, malgré la lourdeur de mes nuages.
Quelques jours après la noce, je l’avais déshabillée du linge dans lequel je l’avais emberlificotée, pour la poser sur une étagère du salon. Puis, je m’étais éloignée, vaquant à mes occupations logistiques.
Pas un souffle de vent ne filtrait à travers les rideaux.
J’étais seule dans l’appartement, réalisant à peine ce que j’étais devenue : une femme qui se plie aux diktats, une femme qui maquille ses erreurs par peur de les affronter. Et c’est alors que j’ai entendu quelque chose tomber et se briser.
Mon cœur bondit dans ma poitrine contusionnée tandis que je me précipitais dans l’autre pièce. Le couple de porcelaine gisait quatre étagères plus bas, brisé net. L’homme, incarnant par projection mon futur ex-mari, avait perdu sa tête sous le choc. La mariée, elle, restait intacte. En apparences, du moins, elles sont toujours sauves.
Mes mains se mirent à danser la gigue. Je cherchais le rationnel : une vibration, un socle bancal, voire un tremblement de terre, mais il n’y avait rien. Rien, sauf un présage que je me refusais à lire.
Le passé ne se réécrit jamais, mais parfois, il laisse derrière lui des signes, des fragments d’histoire que l’on peine d’abord à comprendre. Ce jour-là, devant ce couple de porcelaine brisé, une part de moi savait déjà ce que mon conscient refusait d’admettre. Comme une prémonition figée dans l’instant, un avertissement silencieux. Ce bonhomme sans tête, devenu malgré moi le symbole d’une rupture inévitable, de larmes et de sang versés.
Bien des années plus tard, cette triste figure fragile mêle son souvenir à une ancestrale légende née dans les brumes de mon Auvergne chérie. L’histoire d’un homme bon, un colporteur qui traversait les terres escarpées, portant sur son dos les récits des villages qu’il visitait. Il connaissait les chemins mieux que quiconque, et son rire résonnait souvent entre les collines, en un écho bienveillant. Mais un soir, sous un ciel chargé de lourds nuages noirs, son destin bascula à son tour.
On raconte qu’il fut accusé à tort d’un crime qu’il n’avait pas commis.
Peut-être avait-il croisé le regard d’une femme qu’il n’aurait pas dû regarder, peut-être avait-il prononcé un mot de trop devant des hommes ivres de colère. Peu importe la raison, la sentence fut immédiate. Sans procès, sans répit, il fut traîné hors du village, ses supplications noyées sous les cris de la foule. Et là, sous le vieux chêne qui bordait le chemin, on lui trancha la tête.
Le sang s’infiltra dans la terre puis le silence retomba.
Mais la terre, elle, n’oublia pas.
Depuis cette nuit, lorsque la brume s’étire sur les collines et que le vent siffle entre les pierres, une silhouette erre dans l’obscurité. Un homme sans visage, sans voix, condamné à chercher ce qu’on lui a pris.
Il marche sans bruit, traverse les villages sans jamais s’arrêter, et ceux qui croisent son chemin ressentent un frisson glacé, comme si l’ombre du passé effleurait leur peau.
Certains disent qu’il murmure encore, que son souffle perdu se mêle au vent, suppliant qu’on lui rende justice. Mais personne ne peut réparer ce qui a été brisé.
Alors, il continue d’errer, spectre sans repos, en un souvenir que même le temps ne parvient pas à effacer.
On dit que le Bonhomme sans Tête ne trouvera jamais le repos tant que son histoire restera incomplète.
Peut-être cherche-t-il encore quelqu’un pour la raconter, pour lui redonner un nom, une voix, une existence.
Peut-être attend-il simplement qu’un regard se pose sur lui, non pas avec effroi, mais avec la compréhension de ceux qui savent que certains souvenirs ne meurent jamais vraiment tout à fait.
Xoxo,
Juliette

Auvergne : la légende du bonhomme sans tête, par Jean-Christophe Mojard
Le cavalier sans tête
Toujours les terres dures ont fait pousser l’amour
Sur des sillons nourris de générosité.
Ainsi, par le labeur plutôt que par discours,
L’Auvergne s’est construite en solidarité.
C’est une chaîne lourde, ancestrale et mystique,
Chapelet des Monts Dômes aux cœurs ensommeillés
Qui prend des dimensions presque cabalistiques
Quand légendes et folklore se mêlent aux veillées.
Un homme, à l’avarice et de cœur et d’argent,
En refusant l’aumône d’un hère dans la nuit,
Venu, sous la tempête, à chercher un instant
De quoi passer l’orage et le froid de la pluie,
S’est ainsi fait tancer, par une voix funeste,
Qui lui promit un sort qui lui serait fatal,
Puisque de son mépris, et de son mauvais geste,
Le mendiant succomba aux morsures glaciales.
Le pingre, terrifié, eut beau se calfeutrer
Dans sa lourde demeure quasi impénétrable :
Il fut découvert mort, le corps décapité,
Sa tête disparue à jamais introuvable.
Depuis, les soirs d’orages, on peut entre et voir,
Au milieu des éclairs, un cavalier sans tête,
Il cherche sans relâche, et sans aucun espoir,
Ce qui lui fut ôté, pour paiement de sa dette.
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