Il fut un temps où l’on pouvait s’abreuver de haïkus en tapant ces quelques lettres dans un moteur de recherche. Mais ça, c’était avant. Avant le nivellement par le bas. Avant l’avènement des réseaux sociaux distribuant à tout un chacun son diplôme de spécialiste en tout et n’importe quoi.
Or, l’écriture d’un haïku est un art particulièrement difficile. Il fallait de nombreuses heures, voire des journées, pour qu’un maître accepte la version d’un élève. Autrement dit, écrire un haïku se mérite. Rien à voir avec ces textes balancés à la hâte sur internet.
Alors, qu'est-ce qu'un haïku ?
C’est beaucoup plus compliqué que la simple définition que l’on trouve un peu partout. Ce qui veut dire qu’un haïku n’est pas qu’un simple tercet de trois vers de 5, 7 puis 5 syllabes ou pieds.
En dehors de ces syllabes ou mores, il existe deux éléments impératifs à inclure dans un texte pour qu’il puisse porter le nom de haïku.
Kigo
Un haïku doit obligatoirement comporter un kigo que l’on définit en français par un mot de saison. Seulement, il s’agit là d’un mot au sens poétique bien sûr. Comme nous le verrons, le haïku doit imager une scène. Ainsi, le mot de saison est un élément, une notion de temps faisant penser à cette saison : les cerisiers en fleur pour la période de mars et avril au Japon, la brume sur la campagne ou les feuilles qui virevoltent pour définir l’automne.
Sans cette notion de temporalité, le haïku n’en est plus un. Il devient un muki ou senryū et cela change tout !
Kireji
Comme le kigo le kireji intervient obligatoirement dans le haïku. Littéralement "mot qui coupe", il vient faire un gros plan sur la scène afin de la séparer de son aspect contemplatif. À cet effet, le kireji peut tout aussi bien être une exclamation. Il s’agit de casser ou l’image ou le rythme.
Voici un exemple pour illustrer cette partie assez difficile.
kawasu tobikomu
mizu no oto
Une grenouille plonge
Bruit de l'eau
Dans ce célèbre haïku de Matsuo Basho, le kireji est magistral. Souvent, nous trouvons des traductions françaises ajoutant un « ! » après le mot plonge ou eau. Ainsi, la particule ya devrait le faire apparaître après étang, c'est qui n'est pas vraiment opportun en français. Mais, Basho était plus subtil, forcément : le kireji est marqué par l’étang lui-même !
Imaginez la scène. Nous sommes à contempler le vieil étang. Son ancienneté lui confère un aspect immobile, quasiment mystique, baignant dans la sérénité et la sagesse. Il casse donc le rythme avec ce retour à la réalité d’une grenouille qui apparait soudainement et saute dans l’eau. La rupture est là. L’œil qui embrassait le paysage est soudainement attiré par la grenouille et son saut.
Autre exemple avec l'exclamation:
toshokan ni kizetsu
shite iru
On s’évanouit
dans la bibliothèque.

Avec l’exemple du haïku de Niji Fuyuno, le repérage du kireji est plus simple. En japonais, il existe beaucoup de ce que l’on nomme des particules finales : ici, le ya. Nous l'avons vu avec le haïku de Basho. C’est ce qui permet de donner la nuance à une phrase. La particule ya indique l’intonation exclamative : Ho ! Ces fleurs blanches de prunier !
Nous retrouvons donc les deux éléments du haïku :
- le kigo avec les fleurs blanches de prunier en mars ou avril ;
- le kireji avec le point d’exclamation qui vient séparer le moment où l’on contemple ces fleurs blanches et celui où l’on succombe à leur beauté jusqu’à l’évanouissement.
Les variantes
Dès lors que l’on s’écarte de ces deux obligations qui compliquent l’écriture, mais apportent toute la beauté du haïku, nous entrons dans d’autres registres poétiques.
- Le muki s’affranchit de la notion de temporalité. Aucun kigo ne vient poser le décor de la saison qui constitue la scène poétique.
- Le senryū, quant à lui, verse dans le cynisme, ou franchement dans le pamphlétaire. C’est un avis personnel, un jugement porté sur le sujet du poème comme l’illustre de façon magistrale Francois L. :
Il n’y a plus de saisons -
Adieu le kigo…
C’est ici un formidable senryū ! Et pour cause : appuyé par le kireji “-”, on retrouve ici toute l’ironie du senryū qui définit ce qu’est un muki par rapport au haïku. Vous avez suivi? Il fallait le faire et François L. l’a fait ! Respect.
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