Chapitre 15:
Mercredi 23 septembre :
Je vais bien un jour sur deux. Il me semble que c’est un progrès notable.
Hier j’ai même mangé des légumes !
Tellement ouf ! Moi qui n’aime que la viande avec du pain et du fromage !
C’est étonnant comme c’est difficile d’aller bien même en croyant le vouloir très fort.
J’ai parfois ce sentiment que tout est à peu près stable et que je rallume la chaudière.
La chaudière se rallume-t-elle seule, au gré des images, des souvenirs qui me font basculer dans cette mélancolie ?
Si seulement on pouvait effacer les souvenirs ou la mémoire de ce qui nous encombre comme sur un ordinateur et sortir ainsi de cet état, difficilement enrayable, où le mental se met à chercher des solutions à tout prix.
Vous savez, toutes ces projections ?

Je vais faire ceci et cela provoquera forcément cela…
Je le verrai ce jour-là et il se rendra compte…
C’est son anniversaire bientôt, l’occasion sera toute trouvée pour prendre la température de l’histoire.
Hier, suite à une actualité parlante et saisissable, j’ai commencé à projeter l’écriture d’un message, et j’ai senti immédiatement le malaise fugace de mon corps.
M’écouter… de plus en plus… Ne pas juste nier, rogner, grogner…
Être attentive au fond de moi, quand il apparaît inaltéré par la peine ou les palliatifs à la peine…
Je ne suis pas drôle aujourd’hui…
Pourtant je me sens bien ce matin…
J’aime la dérision, l’humour grinçant, parfois noir, tout en courant après la légèreté.
N’y a-t-il que dans la mise en scène de mes drames que je peux me faire rire ?
« Où il n’y a pas d’humour, il n’y a pas d’humanité », écrivait Eugène Ionesco.
Allez Virgil, je t’écris, tu me snobes, et je fais un bon mot…
C’est pour la science ! Pour l’étude de mon fonctionnement… et par mien, celui de tellement d’humains… n’est-ce pas ?
L’excuse est pourrie, donc je souris…
Je suis sans message de lui depuis 10 jours. Je n’ai plus rien envoyé depuis 3 jours, et je n’ai plus accès à sa connexion depuis 2 jours…
Telle une Alcoolique Anonyme, je voudrais ma médaille ! J’ai tenu presque 4 mois l’année dernière !

Le sevrage physique, c’est trois jours pour toutes les dépendances, mais je sais bien que c’est l’autre sevrage qui est raide.
Celui qui insinue chaque jour en moi par surprise, un camion qui porte son nom, un souvenir qui rejaillit, un rêve, une chanson…
N’importe quelle anecdote pourrait être un prétexte pour relancer la machine. Juste une petite bouffée, pour sentir, pour respirer l’air de nous…

Les signes ! Ah, mon Dieu ! Ça c’est un signe, je dois absolument lui montrer à quel point nous sommes liés, reliés…
Relis-moi, relie moi encore… et encore…
« C’est que le début d’accord, d’accord… »
Mais quand même tous ces signes, l’univers est taquin !!!
Cela se peut-il que ce ne soit qu’une création de mon esprit ?
Que je réussisse à me surprendre moi-même avec des anecdotes qui me sautent aux yeux alors que je ne m’y attendais pas ?
Parce que parfois, et je l’en remercie, mon cerveau se déconnecte de Virgil…
Si si … ça arrive…
Mais de quoi est-il le nom ???
Bordel !
Je vais plutôt aller fumer une clope à la fenêtre comme une bonne ado rebelle ! La crise de la quarantaine n’est jamais qu’une façon détournée de redevenir jeune, mais sans acné, Dieu merci ! Je serais plus classe dans celle-ci !
« Et puis je fume… »

Et cela me met, comme toujours, dans un état hasardeux, ma dextérité physique s’affaiblit et mon esprit se perd dans mes pensées.
Je me demande si je dois vérifier si Virgil me lira si j’envoie un message, si il me laisse encore le voir ?
Et je me dis que je ne devrais pas lui écrire juste pour ça, car ça pour le coup c’est clairement mon égo qui se débat.
« Vu !!! »
Il pleut et je t’imagine sous la pluie. Le temps sous toutes ses formes me donne l’envie de toi.
Une sieste crapuleuse en l’écoutant tomber, le vent qui souffle, j’en ai rêvé si souvent.
Est-ce que tu rêves Virgil ? Est-ce que tu penses à moi ? Est-ce que tu te débats comme moi avec les images subliminales et sublimes ? Ou n’aspires-tu qu’à l’oubli, la mise à distance forcée ou salvatrice ?
La pluie tombe.
Le ciel pleure.
Je m’encombre.
Je me leurre.
Le café chaud.
Le cœur froid.

Sous l’eau,
je me débats.
Tout s’arrête.
Je me répète.
L’oubli de toi,
comme un combat.
Chercher l’espace,
où rien ne s’efface,
où je dose,
gardant la pause.
En fait, je crois que me sens punie, comme si j’avais fait quelque chose de mal et pourtant rien ne me vient de ce que j’aurais pu te faire comme mal ?
« Les grands cœurs aiment le sacrifice, cela est bienheureux pour les cœurs étroits » ça doit être de Georges Sand dans "Le Château de Pictordu".
Aurais-je la prétention d’avoir un grand cœur et que le tien soit étroit ? Ou juste cette atroce prise de conscience qu’il n’y a pas de place pour moi dans lui et que finalement peu importe que ce soit parce qu’il est déjà trop rempli ou trop petit… dont acte !

Fin de l’acte 1 !